Bac professionnel : des lycées pour inventer sa voie ?
Il faut « changer le discours de nos concitoyens sur l’enseignement professionnel », assurait en 2008 le ministre de l’Éducation, Xavier Darcos. La réforme du bac pro, qui allait désormais être préparé en trois ans au lieu de quatre, était censée « lui conférer la même dignité qu’au bac général et au bac technologique ».
Dix ans plus tard, son successeur Jean‑Michel Blanquer reste sur la même ligne, déclarant : « Nous voulons un enseignement pro qui fasse envie », des « Harvard du professionnel ». Une première liste de ces « campus des métiers et des qualifications d’excellence » a d’ailleurs été publiée le 6 février 2020.
Faut-il déduire de ces annonces récurrentes que la situation ne s’inverse pas sur le terrain ? Au lycée, si le nombre d’élèves qui suivent un cursus technologique ou professionnel est sensiblement égal au nombre de jeunes qui suivent un cursus général, les filières générales sont toujours privilégiées. Au collège, elles sont omniprésentes dans le discours des parents et des professeurs. Entre 2014 et 2019, leurs effectifs ont progressé de 8,16 % alors que les inscriptions en bac pro baissent.
Et, comme le constatait le chercheur Aziz Jellab dans un ouvrage publié en 2017 :
« Il est pour le moins paradoxal de constater que le renforcement de la massification scolaire, avec le développement des filières, renvoie un peu plus les lycées professionnels dans leur statut “d’auxiliaires de défaillance” de l’école, sorte de “roue de secours” pour des élèves “inadaptés” à la voie générale. »
Avec la massification, nous avons laissé s’installer la domination du développement des compétences intellectuelles au détriment des capacités manuelles. Le collège unique laisse au bord du chemin tous ceux qui ne sont pas en phase avec ses méthodes d’apprentissage, reposant sur un enseignement encore très magistral.
C’est alors au lycée professionnel que les jeunes doivent trouver l’expression de leur « orientation » scolaire et professionnelle alors qu’ils sont en crise intérieure et en tension entre ce qu’ils ont vécu au collège et ce qui leur permettrait de s’épanouir. Plutôt que de définir ces élèves par leurs manques et les enfermer dans des catégories stéréotypées, il s’agirait de voir quels sont les ressorts de succès possibles pour ces jeunes, qui ont en eux de multiples ressources, que les lycées professionnels s’efforcent d’activer par une pédagogie bien à eux.
Pour ce faire, nous avons réalisé une série d’entretiens auprès de chefs d’établissement puis d’anciens élèves de lycée professionnels qui ont retracé la série de paradoxes et d’émotions qu’ils ont traversés. Ces jeunes que nous avons entendus pourraient être considérés comme une exception. Cependant, leurs témoignages nous montrent comment des élèves considérés hier comme inadaptés au système scolaire trouvent leur voie, jusqu’à devenir des professionnels reconnus.
Valoriser la diversité
A leur arrivée en lycée professionnel, beaucoup de jeunes expriment une certaine fatalité. Comme Camille, ils ont perdu confiance dans l’école qu’on leur avait annoncée comme étant le moyen de construire leur avenir.
« J’ai fait une seconde générale, à la base je voulais aller en S. Comme je n’avais pas la moyenne pour, j’ai redoublé », nous raconte-t-elle. Photographie classique d’un jeune à qui l’on a dit qu’il fallait impérativement décrocher un bac scientifique. Cette dominance de la filière générale ne favorise pas l’inclusivité de ceux et de celles qui vont prendre une autre voie… Pourtant, il y a des espaces scolaires où la lutte des places prend un autre visage.
Camille finit par se rendre compte que ce parcours ne lui convient pas : « j’avais besoin de créer quelque chose avec mes mains, et de faire des choses un peu plus concrètes. Donc je suis retournée en seconde BEP ». C’est alors, au fil des mois, que leur regard sur l’avenir se transforme et que revient l’optimisme, comme le raconte Marie-Audrey : « le lycée m’a appris à me connaître, et les profs m’ont aidée à prendre du recul, à réaliser que si je n’étais pas très forte dans telle matière, je pouvais compenser par d’autres. »
Le temps est l’une des clés de ces retournements de situation. L’engagement vers une vocation affirmée se construit en effet dans la durée et l’adversité. Mais les évolutions tiennent aussi à l’organisation même de la scolarité en lycée professionnel et à la pédagogie spécifique mise en œuvre.
D’abord, il y a l’effet groupe, ou plus exactement le soutien et l’aide des autres, le sentiment d’appartenir à une communauté humaine. Et c’est Camille qui en parle, elle qui a rejoint un BTS après un brevet de technicien (BT) :
« En termes de couture, j’étais beaucoup plus en avance, alors qu’en termes d’enseignements généraux, j’avais du retard par rapport aux autres. J’ai pu compter sur l’aide des professeurs, il y a eu aussi beaucoup d’entraide entre nous, certains restaient une demi-heure de plus le soir pour m’expliquer un exercice de math, ou de physique, et moi je leur rendais la pareille quand il fallait leur expliquer quelque chose sur la couture, etc. »
Pédagogie de projet
Au-delà de la solidarité, les jeunes découvrent la richesse de la diversité des compétences, comprenant qu’il est aussi important d’avoir des compétences manuelles que des compétences intellectuelles. Tous les interviewés expriment les périodes de doute et à chaque fois il a fallu des adultes autour d’eux pour qu’ils puissent surmonter ces doutes et retrouver confiance en eux. Ils doivent trouver le chemin d’apprentissage là où d’autres n’ont qu’à « suivre » un chemin tout tracé.
L’ancrage dans l’entreprise facilite la mise en place des formations. Mais l’entreprise doit réapprendre à venir dans le lycée professionnel et à lui confier des missions pour que les jeunes se retrouvent très vite en situation réelle même. L’illustration le plus probante en est dans la restauration où l’on voit souvent des jeunes de lycée hôtelier participer à une réception aux côtés des maîtres d’hôtel et des cuisiniers en exercice.
En lycée professionnel, l’implication des entreprises dans les cursus ne s’arrête pas aux périodes de stage, elle inclut aussi des projets tutorés. Collectifs ou individuels, ceux-ci aident les jeunes à apprendre en faisant et à se réaliser tout en apprenant.
Par ailleurs, l’élève sera évalué pour son CAP ou son bac professionnel sur la réalisation d’un chef-d’œuvre de son choix dans le cœur de métier de sa formation comme l’ont toujours été les maîtres dans leur « art ». C’est la possibilité pour le jeune de laisser s’exprimer son talent.
Patrice Hauchard, Directeur du lycée Albert de Mun, doctorant en sciences de l’éducation, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.